Chapitre XIII

 

— Heepish ! (Forry avait failli hausser le ton.) Vous voulez dire que Heepish n’est pas humain ?

— Nous ne sommes pas seulement non-humains, dit-elle. Nous sommes extra-terrestres. Extra-système solaire. Mieux, extragalactiques. Les Tocs viennent de la quatrième planète d’une étoile de la galaxie d’Andromède. J’ai toujours eu de la chance, se disait Forry. Mon plus cher désir a toujours été de travailler dans la science-fiction, et je suis arrivé à en vivre. Je voulais être le plus grand collectionneur de fantastique et S.F. du monde, et c’est venu aussi naturellement que la coquille autour d’un escargot. Je cherche un boulot, un éditeur se prépare à lancer une collection de magazines pour enfants consacrés aux films d’horreur – qui y a-t-il de plus capable ou de plus enthousiaste pour se charger de l’affaire ? J’ai connu les Grands de ce domaine, j’ai été leur ami, j’ai vu les premiers hommes débarquer sur la Lune, et voir avant ma mort les premiers hommes de Mars. J’ai eu de la chance.

« Mais ça ! Des êtres venus de l’espace s’adressant à moi pour prendre contact avec la Terre. Ce n’était évidemment pas tout à fait exact. Si ce qu’elle avait dit était vrai, les extragalactiques côtoyaient les hommes depuis plus de dix mille ans. Mais avaient-ils déjà dévoilé leur nature à un homme de la Terre ? C’était le point qui importait.

— Vous vous énervez trop, Forry, dit-elle. Je sais qu’il y a un millier de questions qui s’agitent dans votre crâne. Mais vous aurez une idée plus rapide et plus nette des choses si vous consentez à m’écouter calmement. D’accord ? Bien. Installez-vous confortablement et ouvrez vos oreilles toutes grandes.

Il y avait donc une planète ayant la configuration et la dimension de la terre qui tournait autour d’un soleil du type Sol aux confins de la galaxie d’Andromède, à 800 000 années de lumière. Le ciel n’était qu’un flamboiement de gaz luminescents où brillaient des étoiles géantes. La planète des Tocs n’avait pas de Lune, et donc pas de marées.

La cinquième planète du système avait deux petites lunes, mais pas de mers susceptibles de donner naissance à des marées. C’était le monde des Ogs, race maléfique.

Mince, alors ! lâcha mentalement Forry (Ceci suffisait à donner la mesure de son excitation, il s’interdisait généralement d’utiliser, fut-ce en pensée, le plus atténué des jurons.)

— Mince, alors ! Comme dans Gernsback ! Ou Campbell première manière !

Les Tocs et les Ogs n’étaient pas des êtres humains. C’étaient des créatures composites qui passaient de l’état de pure énergie à celui de matière. Dans le premier état, ils formaient des configurations d’énergie latente, et des configurations matérielles dans l’autre. Leur forme dépendait de ce qu’ils voulaient imiter – ou créer. Mais il y avait des limites à leurs métamorphoses : le corps le plus petit qu’ils pouvaient assumer était à peu près de la taille d’un gros renard, ou, dans l’air, d’une grosse chauve-souris. Quand ils prenaient l’aspect d’animaux plus petits, l’énergie en excédent les accompagnait sous une forme invisible, comme une sorte de traînée d’échappement. On pouvait aussi parler d’énergie enfermée dans une valise invisible et intangible.

— Quelle est votre véritable forme ? demanda Forry.

— Vous étiez censé écouter en silence, dit Alys en faisant étinceler une rangée de dents blanches.

Elle était si belle, si jeune, que Forry sentit une bouffée de désir l’envahir. Ou peut-être était-ce la nostalgie de sa propre jeunesse envolée ?

— Nous n’avons pas de « véritable forme », à moins que vous n’entendiez par là celle que nous utilisons le plus fréquemment. L’usage prolongé d’une forme déterminée entraîne un « durcissement » de cette forme. Il devient de plus en plus difficile d’en changer à mesure que le temps s’écoule. Et il faut davantage d’énergie pour la conserver à l’état non-humain. Comme la plupart d’entre nous ont revêtu depuis bien longtemps une forme humaine, vous pouvez dire que c’est notre véritable forme.

Les Ogs et les Tocs s’étaient rencontrés avec la découverte du voyage dans l’espace. Ils n’utilisaient pas de fusées ou de véhicules antigravitationnels. Ils se déplaçaient d’un point de l’espace à un autre par un procédé très particulier. Particulier d’un point de vue humain, évidemment.

Il s’agissait d’un métal synthétique, qui avait reçu la forme d’une grande coupe, ou d’un grand calice. Cette configuration était nécessaire parce que c’était la seule apte à recueillir, ou focaliser, l’énergie mentale d’un Animateur. Peut-être ce terme Toc était-il plus exactement traduit par « Capitaine ». Le Capitaine était la seule personne capable d’activer le procédé qui permettait aux Tocs de se téléporter d’un point de l’espace à un autre.

— Et pourquoi le Capitaine est-il seul capable d’activer le procédé – ce calice ? dit Forry.

— C’est en ceci que réside la limitation du procédé – appelons-le Graal, dit Alys. Il y a une certaine ressemblance superficielle avec le Graal de vos légendes médiévales, bien que la surface intérieure relève d’une géométrie qui paraîtrait incompréhensible, voire terrifiante à des yeux humains.

Le Graal est matériel, mais n’est activé que par un certain type de radiations énergétiques. Vous parleriez peut-être d’ondes mentales, mais c’est beaucoup plus que cela. Quoi qu’il en soit pour servir de vaisseau spatial, ou de téléporteur, le Graal, doit être mis en œuvre par un Animateur, ou Capitaine. Or, il ne se trouvait qu’une centaine de Capitaines sur un million de naissances.

— Naissances ? dit Forry en levant des sourcils interrogateurs. Comment peut-on parler de naissance à propos d’une configuration énergétique ?

Elle fit un geste impatient de la main et dit :

— Je parle uniquement par analogie. S’il fallait que j’entre dans chaque détail, nous serions encore ici dans vingt ans. Écoutez et taisez-vous.

Les Ogs avaient mis au point leurs Graals et trouvé leurs Capitaines à peu près en même temps que les Tocs. Des relations s’établirent très vite entre les deux planètes, et une guerre ne tarda pas à éclater. Les Ogs, qui étaient des créatures fondamentalement malfaisantes, voulurent réduire les Tocs en esclavage.

Forry réserva mentalement son opinion sur ce point. Il attendrait d’avoir entendu la version des Ogs pour juger.

Les Tocs avaient tenu les Ogs en échec, au prix de lourdes pertes dans chaque camp. Finalement, la paix avait été conclue. Les Tocs et les Ogs s’étaient alors intéressés à d’autres mondes. Comme la distance ne comptait pas pour le Graal – cent mille années de lumière étant parcourues aussi rapidement qu’un kilomètre, c’est-à-dire instantanément – l’Univers était ouvert aux deux races.

Mais, vu les billions de billions de planètes habitables dispersées dans l’univers et le nombre restreint des Capitaines, seul un petit nombre de mondes pouvait être exploré. La Terre fut l’un d’eux, et près d’un millier de Tocs y débarquèrent. Les Ogs y envoyèrent une expédition presque aussitôt après, et comme le traité de paix ne s’appliquait pas aux planètes extérieures à leur système, les Ogs n’eurent aucun scrupule à attaquer les Tocs.

Les Ogs et les Tocs se livrèrent une guerre désastreuse pour les deux camps, qui se solda par la disparition des Graals et des Capitaines. Ils étaient donc voués à demeurer sur la Terre.

— Nous avons vécu parmi les humains, mais non pas à leur dépens, dit Alys. Notre aptitude à prendre des formes différentes a donné naissance à un grand nombre de superstitions sur l’origine surnaturelle des vampires, des loups-garous, des fées et tout ça. Nous autres, Tocs, sommes à l’origine des bonnes fées, bien qu’il nous soit souvent arrivé de prendre des formes animales ou autres. Mais nous n’étions pas contre les humains, dans la mesure où ils n’enfreignaient pas le code.

Au fil de ces dix mille ans, la guerre, les suicides, les attaques des humains firent que sur les deux mille Tocs et Ogs initiaux, il n’en resta plus qu’une centaine pour chaque race. Mais les Tocs ou Ogs tués sous leur forme matérielle ne mouraient pas pour autant. Ils redevenaient des configurations énergétiques et pouvaient reprendre une forme matérielle. Seulement ce processus était très long sur la Terre, à cause des conditions magnétiques différentes de celles du système mère.

— C’est donc là l’origine des fantômes ? dit Fony.

— Oui. Les humains n’ont pas de fantômes. Quand ils sont morts, c’est à jamais. Mais un Toc ou un Og mort sous sa forme matérielle doit s’attacher à un endroit où il dispose à la fois d’êtres humains et de conditions magnétiques optimales. Il doit, dirons-nous, « se brancher » sur l’énergie d’êtres vivants. Et quand il a acquis suffisamment de forme, au stade que vous autres humains qualifieriez d’ectoplasmique, il a besoin de sang ou de relations sexuelles pour retrouver un corps totalement matériel. Les Tocs baisent, les Ogs tuent.

Elle se tut un instant puis reprit :

— L’une de nous a récemment retrouvé une forme corporelle par le contact avec Harald Childe. Elle s’est littéralement baisée elle-même pour s’incarner. Évidemment, cela s’est fait bien plus vite avec Childe qu’avec une créature purement humaine.

Gare à la bête
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